Une longue vue, s’il vous plait !

Voyage immobile de Denis Perret-Gentil, 2008. Photo Alan McCluskey

Il y a plusieurs millions d’années, des micro-organismes tombaient sur les fonds marins et initiaient leur extraordinaire processus de décomposition et de transformations en pétrole. L’exploitation pétrolière, qui commence dès l’Antiquité, a eu un impact non seulement sur les activités économiques humaines mais aussi sur les interactions sociales. Les multiples utilisations de cette ressource ont changé radicalement les relations interpersonnelles et entre les pays, en encourageant la cupidité des uns et en exacerbant la misère des autres. 

Et maintenant, quel sera l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur la terre ? Nous ne savons jamais ce que l’avenir nous réserve mais, après une année sous la menace du coronavirus, nous constatons déjà d’importantes conséquences économiques, sociales, culturelles et psychologiques. 

Les surprises des changements

Qui aurait pu imaginer que ces chamboulements dus à la pandémie fassent émerger tant de disfonctionnements, dans toutes les sphères de nos sociétés ?

Qui aurait pu imaginer que ces temps d’arrêt forcé puissent d’une part, provoquer des niveaux de stress aussi élevés, avec d’aussi nombreux symptômes dépressifs et, d’autre part, favoriser le développement d’une motivation nouvelle, créatrice d’idées pour garder la tête hors de l’eau ? 

Ce qui me questionne, ce sont les traces qui resteront, à plus ou moins long terme. Des traces qui se sont inscrites insidieusement dans nos mémoires personnelles et collectives. 

Quelle société pour demain ?

Face au port du masque généralisé, le fait de ne pouvoir décoder que le haut du visage et de n’entendre que des mots imprécis va-t-il perturber, à long terme, l’apprentissage chez les petits enfants, leur capacité à comprendre, à répéter, à apprendre ?

Dans quelle mesure la vision du monde des enfants bloqués pendant de longues périodes à la maison avec les parents en télétravail, se trouvera-t-elle colorée par les discussions et informations contradictoires et stressantes sur la pandémie ? 

Les adolescent.e.s et les jeunes adultes, ayant vécu l’isolement, l’expérience de l’indépendance dans leurs apprentissages, les difficultés de communication avec leurs camarades et le manque d’explications des enseignant.e.s, seront-ils davantage marqués par un sentiment d’incapacité menant à l’échec ? Ou, au contraire, ces difficultés ont-elles rendu visibles les besoins de soutien individuel et permis, à certains élèves, de bénéficier de mesures pédagogiques compensatoires ? 

L’exigence du télétravail sera-t-elle l’occasion d’assouplir les modes de production et d’aller vers une organisation du travail qui permette aux employé.e.s de concilier plus facilement vie privée et vie professionnelle, qui leur facilite l’éducation des enfants et leur permette de s’engager dans d’autres activités comme par exemple, l’entraide, le jardinage, la musique ou le sport ?

Pour nous toutes et tous, les interdictions de contact physique, de chant, de danse pendant de nombreux mois, et même l’interdiction d’accompagner celles et ceux qui s’en vont, renforceront-elles la relative froideur de nos relations ?

Que garderons-nous des belles initiatives venues des milieux culturels, des organismes de soutien à la population, des clubs sportifs ? 

Cette crise, relativement longue, a aussi ravivé la prise de conscience écologique en rappelant le lien entre l’émergence des pandémies et l’effondrement des écosystèmes. Cette crise pourrait-elle mettre un frein à la surconsommation, à la recherche du profit maximum, à l’importation des produits fabriqués de l’autre côté de la planète, à la destruction de notre terre ? Un vent nouveau pourrait-il aider à remettre la santé au centre des actions humaines, notamment en renonçant à toutes les sources de déséquilibres et de maladies comme l’agro-alimentaire et l’industrie pharmaceutique actuelle ?

La perte de contrôle

Avant cette pandémie, beaucoup d’entre nous avaient l’impression que dans nos sociétés, tout était sous contrôle ; que nous avions la maîtrise de la vie grâce à la médecine, la maîtrise des richesses de la terre grâce à l’exploitation infinie des ressources et la maîtrise des hommes et des femmes grâce aux cadres et aux règles.

Les différentes épreuves que nous avons vécues ces derniers mois, à cause de ce virus, mais aussi en raison des décisions politiques, nous rendent conscient.e.s de la fragilité de notre système et de l’incertitude sous-jacente allant à l’encontre de notre habituel sentiment de maîtrise. 

Pour le meilleur ou pour le pire ?

Tous les secteurs de notre vie personnelle et professionnelle ont été touchés. Nous avons assisté à de nombreux changements et nous nous sommes réjouis, dans certains cas, de la capacité de rebondir ou de changer de cap. D’autres changements ont été moins visibles, et tous les changements n’ont pas été positifs. 

Alors que nous considérons souvent la nature comme séparée de nous et de notre quotidien, cette pandémie nous a rappelé que nous en faisions partie et que nous en avions besoin. Toutefois, ses réactions n’étant pas toujours immédiates, elle peut nous réserver de bien mauvaises surprises si nous n’agissons pas rapidement et efficacement dans la bienveillance envers tous ses éléments. 

Il y a beaucoup à faire pour aller vers un monde meilleur. Et même si nos désirs sont certainement plus grands que les actions possibles, il est de notre responsabilité à toutes et à tous de participer, par nos gestes quotidiens, à la création du monde dont nous rêvons. 

Merci à ma fille Zoé pour ses réflexions et ses espoirs.

6 réponses sur “Une longue vue, s’il vous plait !”

  1. Merci Huguette, J’ai lu avec intérêt vos belles réflexions sur cette pandémie et la croisée des chemins qu’elle représente pour nous tous. Je crois aussi que ce coup de frein forcé pourrait permettre à l’humanité de changer de cap. Je l’espère du moins. Peut-être un jour, dans dix ou vingt ans, nous dirons-nous: « heureusement que c’est arrivé, nous allions dans le mur »? Joyeuses Pâques, cette magnifique fête du renouveau qui nous dit combien la Vie l’emporte toujours!

  2. Chère Huguette,
    Merci de partager ta longue réflexion. Je me repete probablement mais depuis le début de la pandemie je pense que nous n’avons rien à attendre de positif.
    Au contraire, de nouveaux clivages s’ajoutent aux anciens.

    Ceux qui avaient déjà une conscience écologique continuent sur cette voie et les autres s’attendent uniquement de pouvoir vivre comme avant.
    Ce qui me fait le plus de souci sont les dégâts que les restrictions imposées à la population sont en train de provoquer.
    Il y a des gens qui trouvent désormais normal de porter un masque. Pour qui les mesures de distantiation ne posent pas de problème.

    Tout cela nous à deshumanisés.
    Pour les pétits c’est atroce d’être entouré d’adultes masqués, pour tous c’est un monde plus pauvre en emotions.

    Il y a aussi deshormais des categories qui n’ont aucun intérêt à ce que la situation s’ameliore. A coté de toute les filiéres qui se trouvent dans les desespoir, on trouve des professions qui s’enrichissent grâce à la pandemie telles que les laboratoires, etc.
    Voila ma pensée.
    Bien à toi.
    Laura

    1. Chère Laura, je comprends bien tes préoccupations et je te remercie de ton partage. Sans être d’un optimisme naïf, je suis tout de même persuadée qu’on ne peut pas savoir ce que, à long terme, toutes ces blessures vont apporter et je constate aussi les belles histoires que, paradoxalement, cette situation nous fait découvrir. Je suis bien d’accord que beaucoup ont souffert et vont encore souffrir et c’est bien pourquoi j’invite chacun-e à agir là où il/elle peut pour un monde meilleur. C’est nous tous ensemble qui allons le façonner, avec nos petits et grands gestes 🙂

  3. Chère Huguette,

    Vaste débat. La crise du COVID a accentué la fracture sociale et chamboulé à peu près tout le reste.

    Si je peux, quelques compléments.

    La pandémie ne doit rien au hasard. Nous avons pris la place de la Faune et elle nous a également laissé ses maladies. Le virus sont en train de découvrir que finalement, nous sommes des meilleurs hôte que nos amis les bêtes.

    Ensuite, la pandémie a sonné le glas de la concentration de gens dans des mégapoles. Bien sûr, il n’y pas d’exode massif, mais un changement qui va ramener des gens à la campagne.
    Je ne crois pas que les restaurants vont retrouver leur niveau d’avant, ni les supermarchés. Fini les bises, comme les anglais dont le comportement portait encore des traces de la Peste. (on ne serre la main qu’à la premier rencontre et on n’embrasse jamais).

    Ce qui m’a le plus frappé depuis le début du COVID est la capacité qu’ont des gens, au demeurant sensés, à gober des fake news et des théories du complot.

    En forçant le trait, on a l’impression qu’une partie de l’humanité s’est donnée la mission de nous empêcher de sortir de cette pandémie par le haut.

    Déni du virus, du masque, du vaccin, de la distanciation sociale, à toutes les étapes, des gens ont œuvré pour laisser la place au virus et anéantir nos efforts pour le surmonter.

    En temps de guerre, la censure militaire les aurait fait taire. Le problème est que nous sommes quasiment en guerre et ce on laisse faire ce sabotage psychologique.

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